Il avait dit qu’il était content de l’avoir, elle avait dit la même chose et maintenant c’était la gêne qui reprenait le dessus. Trier ses pensées plus tard on avait dis c’était mieux. Sauf qu’elle en était incapable son esprit était complètement blanc, bloqué entre la terreur de se rendre compte qu’elle s’était attachée sans y penser et la joie de sentir que c’était peut-être réciproque dans une certaine mesure. Elle saurait quelle partie de ce mélange l’emportait plus tard.

- Ça me rassure, avoua-t-il gentiment. Il faudra qu'on se promène plus souvent alors. Enfin, si on peux.

Derrière son rideau de cheveux, elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire. Respirer il fallait respirer sinon elle allait finir par sembler bizarre et elle ne voulait surtout pas avoir l’air ridicule. Elle avait beau gardé les yeux rivés au sol. Elle ne put pas vraiment lui répondre alors elle hocha la tête pour montrer qu’elle était d’accord. Pourquoi était-elle toujours aussi incapable de se ressaisir ? De donner le change. Qu’il se passe un cataclysme dans son esprit était une chose, qu’il se voit à l’extérieur en était une toute autre. Mettre un pied devant l’autre, respirer… Et tout finirait pas rentrer dans l’ordre.

- Est-ce que ça va ? Vous voulez vous asseoir un moment ? Je vous aurais bien proposé un verre d'eau mais à part celle de l'étang qui laisse un peu à désirer...

Sa dernière phrase lui avait arraché un rire mal à l’aise. Elle aurait voulu disparaître. Elle était tellement grillée. Rien à faire elle n’arrivait pas vraiment à se reprendre. Au moins elle avait réussi à couper court à ce rire nerveux tout à fait ridicule qu’elle avait parfois dans ce genre de moments. Heureusement qu’ils marchaient. S’ils avaient été assis face à face elle aurait eu vraiment du mal. Elle n’avait plus le choix il fallait dire que quelque chose sans quoi il allait vraiment finir par s’inquiéter.

- Oui oui ça va, dit-elle à toute allure.

Elle se força à parler un peu moins vite pour la suite sans quoi il n’arriverait sans doute pas à la comprendre.

- C’est juste que je n'ai pas l’habitude de….

Sortir? Fréquenter des gens? Toute fin à cette phrase ne pouvait être qu’humiliante alors elle poursuivit.

- Enfin bref…

Silencieusement, elle pria pour qu’il ait la bonne idée de changer de sujet.

Miranda essayait désespérément de reprendre ses esprits, espérant qu’il change de sujet. Il s’était rendu compte qu’elle était intimidée. Elle aurait préféré qu’il ne le lui fasse pas remarquer pour qu’elle puisse continuer d’essayer de faire semblant. De toute façon, elle ne savait juste pas quoi dire de plus. Faire semblant, si c’était si fatiguant. Une partie d’elle avait envie de tout raconter, de fondre en larmes et de tomber dans ses bras. Mais alors elle serait encore plus à sa merci qu’elle ne l’était déjà.

- C'est pareil pour moi, croyez-moi… peu importe ce que vous mettez derrière en fait, dans ce contexte là en particulier, je sais que je peux dire que je n'ai pas l'habitude non plus. Ce n'est pas grave, je vais pas vous jeter la première pierre et on est pas programmés pour être à l'aise dans toutes les situations. Mais "enfin bref", oui.

Elle aurait cru que les premiers mots à sortir de sa bouche seraient un couperet. Mais il n’en fut rien. En fait, à a sa grande surprise elle se sentait un peu mieux. Elle était mal à l’aise en face de lui et il ne se moquait pas, il ne s’en servait pas contre elle. Etait-il en train de dire que lui, plus discrètement peut-être vivait un peu la même chose ? Est-ce que c’était possible qu’il comprenne quelque part de quoi elle parlait ? Après tout, effectivement il devait avoir peu de temps. Et puis elle savait combien les choses difficiles qu’on peut vivre peuvent laisser l’impression qu’on est différent du reste du monde.  Elle ne trouva rien à répondre et elle se contenta de sourire au sol encore une fois. Elle aurait voulu pouvoir relever les yeux.

- Je me rends compte que je ne sais même pas trop ce que vous appréciez faire en dehors du travail… Parce que, si jamais on peut se revoir pour une promenade, y'a pas que le parc, il reste la bibliothèque et le centre culturel par exemple… mais j'ai pas envie de vous emmener à un endroit que vous détestez.

Cette fois elle releva les yeux vers lui, parce que la conversation allait prendre un tour un peu plus « normal ». Elle avait toujours les joues rouges sans doute mais c’était un peu moins grave maintenant.

- Oui je passe des heures à trainer à la bibliothèque… C’est vraiment une chance qu’il existe tout ça au SCP. En ce moment ils font une exposition assez sympa au centre culturel sur les Mayas… C’est super on peut faire pleins de choses…le cinéma, le centre aquatique, le spa, les loisirs… je voulais prendre des cours de chant…faudrait que je m’en occupe…

Elle parlait un peu vite mais plus joyeusement.  

- C’est dommage que vous ayez peu de temps pour profiter de tout ce que vous avez participé à construire…

Miranda se sentait mieux. C’était plus facile de parler de ses loisirs, des choses de surfaces un peu comme quand on se présente dans un cours de langue pour pratiquer le vocabulaire. Sans compter que montrer qu’elle s’intéressait à beaucoup de choses montrait une image positive d’elle-même du moins elle l’espérait. Ne restait plus qu’à faire disparaître le rouge de ses joues et à ralentir un peu le rythme de parole. Et alors elle aurait l’air presque normale.

- Quand j'ai eu l'idée de créer le SCP avec Harp, c'était quelque chose qui nous a sacrément emballé, d'imaginer toutes ces installations. On voulait pas que ça soit uniquement un centre de recherches hors normes, mais aussi qu'on puisse y stocker un maximum de savoir humain et d'expérience, d’où la bibliothèque, le parc et le centre culturel en fait. On en a profité au début, quand les bâtiments réservés aux loisirs faisaient encore dix fois la taille des salles de confinement de tous les SCP réunis. Après, ça a augmenté exponentiellement et le travail avec.

L’entendre parler de cela la rendait un peu triste, elle ne savait pas pourquoi. Elle ne pouvait pas s’empêcher de déceler une espèce de nostalgie dans ses propos. Cela avait du être une sacré époque le début du SCP. Elle aurait aimé avoir la chance de faire parti de ces moments là, où c’était sans doute juste quelques amis essayant de faire quelque chose ensemble.

- En même temps j’imagine que vous avez du énormément recruter depuis…

Bon…mieux valait ne pas se laisser glisser sur ce terrain là encore. Elle savait aussi que Ridley se servait de son travail pour cacher ses états d’âme et c’était sans doute aussi pour ça qu’il était débordé. Mieux valait ne pas faire d’autres commentaires. Alors elle laissa Ridley poursuivre.

- Si le chant ça vous plait lancez-vous oui… je viendrais pas en faire avec vous, je crois que je me ferais chasser pour blasphème musical. Mais ça ne me dérangerait pas de vous écouter, un de ces jours.

Elle ne put pas s’empêcher d’avoir un autre rire nerveux. La simple idée lui serrait le ventre d’avance. En même temps une partie d’elle en avait envie. Elle voulait réussir à faire cela un jour. Chanter devant quelqu’un. Ça n’était pas gagné mais après tout elle avait du temps devant elle pour prendre confiance.

- J’ai déjà pris quelques cours il y a longtemps… et là j’ai envie de m’y remettre… De là à chanter devant quelqu'un...

Elle lui fit un autre sourire. Elle ne savait plus quoi dire mais elle se sentait mieux. Elle arrivait à être juste bien là, avec quelqu’un près d’elle. C’était rare.  

Une partie de Miranda s’imaginait chantant devant Ridley et quelques autres, que cela pourrait être une expérience positive, d’être écoutée, regardée de cette façon. Une autre s’imaginait déjà le fiasco que cela serait. Mais ça n’était pas grave. C’était loin et peut-être que d’ici là, Ridley aurait oublié cette conversation. En attendant alors, c’était amusant d’y penser.

- Je serais un bon public, promis !

Elle chassa la petite voix dans sa tête qui disait que Ridley devait sans doute penser qu’il fallait en effet être « bon public » pour apprécier de l’entendre.  Après tout si déjà il faisait l’effort de ne pas rire d’elle dès maintenant, avant même qu’elle ait ouvert la bouche, c’était déjà pas mal. Au moins elle aurait une petite chance. De toute façon, tout cela se situait dans un futur lointain pour l’instant et comme elle se l’était déjà répétée à plusieurs reprises, elle tirait toutes ces pensées confuses en rentrant chez elle, pas maintenant sans quoi elle allait oublier de parler tout simplement. Elle ne commenta pas d’avantage et il reprit :

- Plus sérieusement, je suis pareil que vous quand il s'agit de faire un discours et j'ai horreur de ça…Je ne sais pas comment je fais pour ne pas me planquer derrière mes feuilles ou ne pas devenir tout rouge voire bégayer, c'est horrible.

Miranda était étonnée d’entendre cela. Elle était toujours étonnée que Ridley lui parle d’une difficulté quelconque. Parce que ça ne se voyait pas sur lui, il ne laissait rien paraître. Elle aurait aimé être aussi douée pour se cacher. En même temps il le fallait. S’il se montrait faible, qui savait ce qui pourrait lui tomber dessus. Certains devaient sans doute vouloir prendre sa place…

- Moi, à votre place, je tomberais dans les pommes tout simplement, fit-elle avec un sourire.

Elle ne précisa pas que cela lui était déjà arrivé quand elle devait faire des présentations de projets devant les équipes de tout l’hôpital. Heureusement souvent elle avait une collègue qui prenait le relai mais après les choses devenaient compliquées. Elle était psychologue et anxieuse, un statu difficile à assumer. C’était la même chose aux réunions du SCP. Elle était timide, s’exprimait toujours en bafouillant un peu. Beaucoup de ses collègues pensaient qu’elle était peu compétente. Peut-être que c’était vrai, mais au moins si elle avait su mieux se cachait, ils penseraient le contraire, ils le feraient d’avantage confiance, comme tout le monde ici faisait confiance à Ridley.

- En tout cas… sachez que ça ne se voit pas du tout. Je vous admire pour ça, je ne sais pas comment vous faites pour que personne ne se doute de rien.

Elle lui fit un demi sourire, les yeux presque levés vers lui.

- La prochaine fois que je vois un de vos discours… je penserais à vous…

Miranda admirait Ridley pour sa capacité à faire ses grands discours devant tout le SCP. Et dire qu’il était anxieux et que personne ne s’en rendait compte. Elle lui avait donc dit qu’elle le jalousait là dessus. Peut-être ressentaient-ils la même chose mais elle n’aurait jamais su se dominer à ce point là. Et comme elle disait cela, elle cru apercevoir comme une rougeur sur ses joues. Elle n’était donc pas la seule à qui cela arrivait. Par politesse cette fois elle baissa les yeux à nouveau. Elle-même n’aimait pas être regardée quand elle rougissait.

-  Je... je ne sais pas, ce n'est pas quelque chose de facile à cacher, lâcha-t-il d’une voix un peu moins tranquille.

Entendre ce léger tremblement avait quelque chose de plaisant au fond. C’était attendrissant.

- Enfin…. je pensais que ma réserve était quelque chose d'évident aux yeux de tout le monde… Ça doit se voir comme le nez au milieu de la figure que je n'aime pas être le centre d'attention. Vous n'êtes pas obligée de les voir mes discours, ce n'est jamais rien d'exceptionnel.

Evidemment là résidait le problème : cette certitude que les autres pouvaient voir, lire en vous vous pires pensées sur vous-mêmes, qu’aucune expression de visage ne serait suffisante pour dissimuler la tempête intérieure qui agite l’esprit pendant que le corps lui, doit rester presque immobile.

- Je vous assure que ça ne se voit pas, reprit-elle, de toute façon dans ce genre de situation on a toujours l’impression que tout le monde peut voir comment on se sent…

En revanche elle voyait qu’il était un peu troublé maintenant, elle l’avait vu passer une main dans ses cheveux. Il lui arrivait à elle de replacer une grosse mèche qui s’échappait toujours de derrière son oreille pour reprendre contenance quand elle en avait besoin. Aussi elle préféra changer de sujet à nouveau.

- En général j’écoute les discours… C’est un bon moyen de se tenir au courant des choses qui se passent et qui évoluent ici. Et puis ça me donne l’impression d’appartenir à quelque chose d’une certaine façon…

Sentant qu’elle s’aventurait là sur un terrain glissant Miranda baissa les yeux  à nouveau et ajouta.

- On a fait un bon tour là non ? Si on allait boire quelque chose maintenant ?

Elle se sentait d’attaque maintenant pour s’asseoir face à face. Tout ceci se passait infiniment mieux que prévu et elle ne savait pas encore si elle devait être heureuse ou au contraire un peu effrayée. Les choses finiraient mal sans doute. Mais peut-être qu’il fallait juste profiter du moment dans ce cas…

Oui Miranda écoutait les discours du SCP. Dans ses anciens lieux de travail ses collègues avaient tendance à oublier qu’elle existait à l’inviter aux réunions importantes, soit parce qu’elle était sur plusieurs équipes et qu’elle se retrouvait isolée, soit parce qu’elle n’était pas apprécié. Elle faisait son travail dans l’indifférence la plus totale et souvent elle n’apprenait les choses importantes que par hasard. Que son employeur prenne le temps de communiquer avec tout le monde sur les avancés importantes était agréable. Elle se sentait considérée tout simplement, même s’il s’adressait à elle parmi un océan de travailleurs d’horizons extrêmement divers.

- Vous appartenez déjà au SCP et d'une manière ou d'une autre, à ce qui se passe au sein du grand groupe qu'on forme, ça n'est pas qu'une impression. Mais c'est gentil de les écouter, rien que pour ça je continuerai d'en faire et j'essayerai de m'appliquer un peu plus.

Elle eut encore un sourire. Il avait raison, mais cette appartenance pouvait être abîmée voir détruire dans certains cas. C’était malgré tout important d’en prendre soin. Et puis elle était toujours curieuse. Après tout il se passait tellement de choses extraordinaires au SCP que ça valait la peine de s’y intéresser.

- Ils sont déjà très bien vos discours, dit-elle avec la secrète envie de le voir rougir encore, juste pour se prouver qu’elle n’était pas la seule à avoir du mal avec les compliments.

Finalement il fut question d’aller boire quelque chose. Elle se sentait capable maintenant d’être assise face à lui presque sans crainte et elle n’avait pas encore décidé si c’était bon ou mauvais signe.

- C'est vrai que discuter comme ça, ça donne soif. Où est ce que vous préférez aller ? A cette heure-là, il y aura moins de monde à la cafétéria qu'au Monstre de la Fête mais c'est vous qui voyez, moi j'apprécie les deux.

Miranda préférait la cafétéria, pour elle le Monstre de la Fête restait un lieu dangereux quelque soit l’étage. Et puis leur rencontre passerait sans doute plus inaperçue là bas. Ils pourraient toujours faire semblant de s’être croisés par hasard. Néanmoins elle n’osait pas vraiment décider aussi franchement.

- C’est comme vous voulez en fait… Dans tous les cas on va être obligés de repasser par le froid.

Arrivée près de la porte Miranda se pelotonna dans sa doudoune en se disant que jusqu’à maintenant, tout ceci se déroulait beaucoup mieux que ce qu’elle aurait cru. Elle espérait que cela continue sans vraiment y croire. Aujourd’hui ou un autre jour, cela allait mal finir. La seule question était quand. Et pourtant elle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir heureuse. Là maintenant.

Finalement il fut décidé qu’ils allaient boire quelque chose. Miranda n’avait pas vraiment envie de décider. Elle ne voulait pas passer pour quelqu’un qui ne savait pas faire la fête, sembler coincée. On lui avait souvent reproché d’être coincée d’ailleurs. Trop souvent. Oui elle n’aimait pas boire. Oui elle n’aimait pas les lieux blindés de monde avec de la musique forte. Elle ne comprenait pas comment on pouvait se rencontrer vraiment dans ce genre de circonstances. Elle s’était donc abstenue de décider quoique ce fut.

- J'arrive à décider pour plein de choses mais là c'est le dilemme. La cafétéria ça vous va pour ce soir ? Ça évitera de donner du grain à moudre à Bright et de tomber sur des indiscrets.

Miranda était soulagée. Il disait exactement ce qu’elle avait envie d’entendre, en plus avec d’excellents arguments, que demander de plus. Elle-même n’avait pas pensé au fait que des gens pourraient les voir au monstre de la fête. Ridley avait un passé d’espion et ça se voyait. Elle se mit à sourire de nouveau, sans oser le regarder vraiment.

- Si on peut éviter d'attirer d'avantage les regards...releva-t-elle pour aller dans son sens.

Elle commença se préparer à sortir. Dehors la nuit devait être tombée ce qui n’arrangeait rien à la température. Elle en avait pris l’habitude, mais elle gardait aussi un souvenir cuisant de cette fameuse fois où elle était sortie avec rien d’autre qu’une chemise de nuit sur le dos. Depuis, elle prenait garde à ses crises de somnambulisme.

- Avec un peu de chance, les aurores boréales se seront montrées vu l'heure. Vous avez déjà pu les observer tard le soir ?

Cette fois elle osa le regarder souriant toujours. Finalement, c’était tellement plus facile de parler de choses légères que d’évoquer les sujets difficiles. D’ordinaire elle n’était pas douée pour cela, mais ce soir, sans qu’elle sache pourquoi, cela fonctionnait plutôt bien.

- J’aimerais bien… j’ai réussi à en voir quelques unes... mais je mets jamais le nez dehors au bon moment je crois…

Elle reprit plus rêveuse.

- En tout cas, je trouve ça magnifique… une des choses que j’adore le plus dans cet endroit.

Miranda se pelotonna dans son manteau avant d'ouvrir la porte qui les conduirait dehors dans le froid et la nuit.

Dehors le ciel était chargé de couleurs, rempli de vagues chatoyantes. Elle se détourna pour regarder parce qu’elle n’avait pas souvent l’occasion d’observer cela aussi tranquillement et d’aussi prêt. Même coincée entre les bâtiments l’aurore semblait dominer la scène, tellement loin au dessus d’eux, les englobant en même temps. Miranda souffla un peu de fumée dans le froid, gardant le souffle coupé. Elle n’était pas assez bien équipée pour supporter l’air gelé beaucoup plus longtemps.

-Vous verriez ça de l'espace, c'est à couper le souffle. J'aurais bien proposé de vous emmener voir mais faut avoir l'estomac bien accroché et c'est un peu compliqué à organiser.

Miranda eut le souffle coupé à nouveau. Dans l’espace. Il était allé dans l’espace. Soudain le ciel devant elle prenait un tout autre aspect. Ridley aussi. Il fallait être un sacré battant pour supporter un tel voyage. Il fallait être fort dans son corps et dans sa tête. Elle l’admirait à présent presque autant que le ciel devant elle. Espion, astronaute, qu’était-il d’autre encore. Elle n’était visiblement pas au bout de ses surprises le concernant. Quand à l’idée d’aller elle-même dans l’espace, elle était risible, absurde, folle, tellement que cela lui arracha un rire.

- Je crois que de toute façon je serais morte avant d’arriver...rit-elle.

Elle s’imagina un instant dans le vide sidéral, coincée dans un scaphandre trop petit pour sa forte corpulence, incapable de faire un mouvement pour rejoindre sa base. L’image était drôle à ses yeux. Non décidément elle préférait regarder cela en gardant ses deux pieds bien sur terre, à peu près en sécurité au milieu de la neige.  Elle observa encore un peu les couleurs qui vibraient, le visage de Ridley dans l’obscurité avant de se rendre compte qu’il était tourné vers elle lui aussi. Elle baissa les yeux, esquissant un geste vers les bâtiments. Elle était vraiment en train de geler à présent. Il sembla comprendre et ils se mirent en route.

- Cela dit, il faut en profiter on en voit que de septembre à mars, continua-t-il. Si vous avez envie, je serais ravi de vous emmener à l'observatoire un jour où elles sont vraiment belles. Aujourd'hui peut-être pas, on a autre chose de prévu.

Elle se mit à rougir, les yeux rivés dans la neige et ses traces de pas, espérant que la couleur sur ses joues ressortait moins que celle du ciel.  Elle esquissa aussi un sourire à destination du sol.  L’idée lui plaisait cette fois. Observer cela de plus près et au chaud… en sa compagnie surtout. On aurait presque dit une scène qu’elle imaginait parfois le soir. Cet instant mordoré de couleur ressemblait à un rêve, un instant elle se demanda si elle était en train de dormir.

Ridley lui ouvrit la porte et la lumière des néons la rappela à la réalité. C’était réel et il fallait répondre quelque chose à ce qu’il venait de dire. C’était une proposition, une vraie. Il était vraiment en train de lui proposer d’aller à l’observatoire avec elle, voire et parler des étoiles. En avait-elle envie ? Oui  très clairement, mais elle avait peur. Peur de montrer son enthousiasme et qu’il comprenne qu’une minute avant ce temps passé ensemble avait vraiment pris des accents de rendez-vous romantique. Alors elle haussa les épaules, évitant son regard.

- Pourquoi pas… un jour…souffla-t-elle avant de se mettre à longer le couloir, le devançant presque.

Elle se concentra sur ses pas, un pied après l’autre. La suite promettait d’être plus difficile que prévu.

Un pied devant l’autre l’avaient menée jusqu’à la cafétéria. Comme prévu heureusement il y avait peu de monde et elle était soulagée. Tout ceci lui semblait au fond si absurde qu’elle s’imaginait que si on les surprenait, on rirait tout simplement du comique de situation. Elle aimait mieux qu’ils soient seuls tous les deux. Le bruit d’eau d’ordinaire couvert par les rumeurs de conversation l’apaisait.  Le temps de traverser le couloir, elle s’était redonné une contenance.

-  Est-ce que j'ai le droit de vous inviter ce soir côté boissons ? Il ne s'agit que de quelques centimes si ça vous gêne, c'est pas énorme.

Cette fois elle lui répondit presque un peu trop vite, elle voulait montrer qu’elle était à l’aise alors qu’il était sans doute très clair qu’elle ne l’était pas vraiment.

- Non non, je vous invite pour cette fois… dit-elle juste avant de se rendre compte qu’elle venait de sous entendre qu’il y aurait d’autres fois.

Elle se maudit intérieurement de toutes ses forces en s’avançant vers la machine. Elle se mit à fouiller nerveusement dans son sac à la recherche de monnaie pour échapper à son regard de manière encore plus efficace. Elle s’attendait à elle ne savait pas quoi de catastrophique mais étonnamment il ne releva pas, poursuivant naturellement.

- Vous lui avez déjà demandé votre boisson préférée ou la meilleure boisson du monde ? Elle change à chaque fois que quelqu'un lui demande, normalement ça vaut le coup et vous ne serez pas déçue.

Miranda avait entendu cette rumeur déjà mais elle n’avait jamais pris le temps d’essayer. Mais aujourd’hui elle avait besoin de se changer les idées et surtout d’un sujet de conversation qui éveille leur curiosité à tous les deux pendant quelques minutes. Une diversion en somme. Se saisissant courageusement de sa petite monnaie elle demanda donc à la machine sa boisson préférée avec aucune idée de ce qui allait en sortir. Elle ne s’était jamais posé ce genre de questions.

- Je suis curieuse de savoir ce à quoi je vais avoir droit.

Elle observa le goblet se remplir d’un liquide parfaitement translucide.  Ça n’avait pas apparemment pas d’odeur. Elle était curieuse mais elle attendrait que Ridley soit servi. En attendant celui ne lui évoquait rien de particulier. Elle espérait juste que ça ne serait pas alcoolisé sans quoi elle ne donnait pas cher de sa peau.

- Je me demande ce que ça peut bien être…

Ridley avait rit en commandant son thé et s’était assis. Elle était contente de s’être laissée tentée. Ils étaient maintenant amusés tous les deux et surtout distraits des sujets gênants qui pourraient surgir comme par exemple,  « Pourquoi a peur de l’eau ? » ou encore «  En quoi consisterait leur prochaine rencontre et quand elle aurait lieu ? », 682 ou ce genre de choses.

- Moi aussi je suis curieux, vous me direz ce que c'est alors ? Je ne sais pas si la boisson sera la même pour moi que pour vous si j'y goûte. Tiens, ça serait une bonne expérience à mener ça, voir si le liquide change d'une personne à l'autre quand on demande ça même s'il est déjà distribué… Ah désolé, je parle encore boulot.

Miranda se mit à sourire. A ses yeux aussi toutes ces questions étaient intéressantes. Le SCP était un endroit ou « parler boulot » était parfois douloureux mais jamais ennuyeux alors elle se mit à sourire à son verre d’elle ne savait quoi, parce qu’évidemment relever les yeux était encore trop difficile.

- Alors là… je ne saurais pas dire…  sourit-elle encore pour la table. La question est de savoir si la propriété se trouve dans le liquide ou c’est une propriété émergente entre le  produit et la personne qui le goûte, un peu comme les couleurs…

Miranda regarda encore une fois au fond de son verre avec curiosité. Décidément ça ressemblait à de l’eau. Elle espérait que la machine ne lui avait pas joué un mauvais tour.

- Suspens… souffla-t-elle avant de tremper ses lèvres dans le liquide.

Les saveurs ramenèrent immédiatement à sa mémoire des souvenirs très nets. Les arbres flous au dessus d’elle, le mouvement de l’eau tout autour de son corps. Le brouhaha du ruisseau, lui de l’agitation des voix humaines. Sa peau glacée, rendant muette l’espace d’un instant la douleur de son âme comme toute sensation. Parfois elle lâchait cette petite et laisser glisser son corps un peu en contrebas et espérant à moitié qu’un rocher mal placé allait mettre fin à sa vie, juste comme ça. Il y avait cette fraîcheur, ce léger goût de terre. Ce liquide qu’elle avait senti tellement de fois sur ses lèvres sans jamais le boire, elle n’aurait pas pensé qu’il lui semble si délicieux.

Ces souvenirs l’avaient émus, ils lui avait presque tiré une larme mais elle se reprit juste à temps, se forçant à relever les yeux et à sourire.

- Verdict… c’est bien de l’eau… mais pas n’importe laquelle. C’est celle d’un ruisseau où je me baignais souvent petite…

Elle haussa les épaules, chassant les dernières bribes.

Miranda partageait la curiosité de Ridley au sujet des liquides produits par cette machine. Elle venait de lui faire part de ses questionnements à ce sujet. Elle avait bien fait de choisir de tenter sa chance. Au moins cela les occupait pendant un moment et elle n’avait pas à penser d’avantage. Les conversations qui s’approchait de leur profession étaient toujours plus faciles, surtout quand il ne s’agissait pas de 682.

- Vous auriez fait une bonne chercheuse aussi avec ce genre de questionnement, répondit Ridley à sa remarque.

Elle qui venait de reprendre contenance se mit à rougir de nouveau, forcée de rester encore d’avantage rivée sur son verre. A croire qu’elle ne pouvait pas avoir une minute de tranquillité sans que ses joues ne se colorent à nouveau. Elle hésita à répondre mais si elle s’auto dépréciait, alors il essayait de la convaincre qu’il pensait ce qu’il disait et on n’en finirait plus. Elle choisit donc d’ignorer cette remarque et de se concentrer sur le liquide translucide dans le verre.


Ce liquide elle le connaissait bien, et il avait soulevé en elle de nombreux souvenirs d’enfance ou elle allait se réfugier dans le ruisseau derrière chez elle et elle s’était ressaisie juste avant que la mémoire ne lui fasse perdre contenance. Décidément, cette conversation était un chemin semé d’embuches. Elle était pourtant heureuse de l’avoir, une partie d’elle s’amusait. Alors elle annonça à Ridley de quoi il s’agissait en essayant de relever les yeux.

- J'espère qu'elle est potable au moins ! commenta Ridley, Allez pas vous chopper je sais pas quoi comme bactérie, vous voulez pas commander autre chose ? Je vous laisse mon thé si vous voulez.

Miranda eu un sourire. L’eau du ruisseau ne lui avait jamais fait de mal. Elle ne s’était même jamais posé la question. Il y avait tellement d’autres dangers bien pire. Au pire, l’indigestion aurait eu le mérite de lui faire perdre quelques kilos pour le grand plaisir de sa mère. Elle ne se souvenait pas que cela soit déjà arrivé bien qu’il n’était pas rare qu’elle boive directement l’eau. Après tout c’était la peine campagne et il y avait peu d’éleveurs aux alentours.  La source n’était sans doute pas bien loin. Effectivement elle n’avait que de bons souvenirs de ce ruisseau la machine ne s’était pas trompée. Les bains glacés pour calmer la brûlure des émotions à l’approche de l’hiver. La glace cassée d’un coup de roche épaisse. Les bulles, le courant. Tout cela lui avait toujours semblé particulièrement apaisant. Comme l’était ce goût maintenant dans sa bouche.

- Elle n’est pas dangereuse, dit-elle avec un sourire avant de se souvenir que Ridley détestait l’eau.

Elle reprit les yeux rivés sur la table à nouveau.

- C’est amusant en tout cas, je ne m’attendais pas du tout à ça. Et pourtant maintenant je ne peux penser à rien que je trouve plus agréable à boire.  Pour autant n’importe qui d’autre qui goûterait ça détesterait je pense. Tout ça c’est une histoire d’association… de souvenirs…

Mais sur ce sujet des souvenirs… elle n’irait pas plus loin.

Plus Miranda buvait cette eau plus elle lui rappelait les images floues qu’elle avait vus au travers de la surface, le soleil dansant au travers de l’eau, plus elle se rappelait la sensation des cailloux mousseux sous ses doigts. Les sons des bulles qu’elle faisait en soufflant. Tout cela lui revenait avec une netteté impressionnante. En face d’elle Ridley semblait dubitatif, après tout, elle savait à quel point loin détestait l’eau.

La subjectivité décidément c’était quelque chose. Elle ne comprenait pas comment l’eau pouvait sembler dangereuse. Elle y voyait comme un refuge, sous la surface, loin des sons du reste du monde.

- Y'a plein de choses plus agréables à boire pourtant, rien qu'en mettant du sirop dedans ça serait meilleur je trouve, mais bon. C'est vous qui voyez parce que c'est sûr que les souvenirs seraient plus là. Vous êtes sûre que vous voulez pas autre chose quand même ? Un chocolat chaud ? Ressasser un souvenir où on boit de l'eau de rivière, j'ai beau chercher j'ai du mal à voir comment ça peut être plaisant… mais ça me regarde pas, pardon.

Il restait sur son idée et elle sentait derrière son discours poindre la folie qu’elle avait déjà expérimentée à l’infirmerie, surtout quand elle était revenue de son petit tour dehors en chemise de nuit. Elle avait découvert une toute autre facette de lui à ce moment là, et depuis elle avait tout fait pour éviter les sujets fâcheux. Une partie d’elle avait envie de lui expliquer pourtant. Et puis… aucun autre sujet ne se présentait alors elle allait lui raconter la version édulcorée de sa souffrance.

- Le ruisseau était dans le jardin derrière chez moi. On avait vraiment un grand terrain comme mon beau père avait de l’argent. Pour y accéder il fallait traverser une sorte de haie de ronces et j’étais la seule à avoir trouver un passage dedans. J’allais là bas quand je voulais m’isoler. C’était un peu comme le jardin secret de mon enfance. C’est pour ça que j’aime autant cette eau… et je n’aime pas autant le sirop… rien à faire.

Elle eut un sourire histoire d’être sûre que la connotation triste du souvenir passe inaperçue.

- Mais si ça peut vous rassurer, je prendrais un chocolat après.

Miranda avait raconté l’histoire du ruisseau derrière chez elle avec ce qu’elle pensait être un air détendu. Elle avait terminé sur un sourire, assurant que s’il le voulait vraiment elle n’était pas contre un chocolat chaud. Miranda n’était jamais contre de toute façon et puis à ce moment là, elle n’avait pas envie que leur soirée se termine. Cependant, elle ne voyait pas bien ce qu’ils pourraient faire après alors elle n’était pas un chocolat près.

- J'ai pas besoin d'être rassuré en vous voyant boire un chocolat chaud, j'aimerais juste qu'on passe une bonne soirée entre amis. Si de l'eau de rivière ça vous va comme boisson alors ça m'ira à moi aussi et j'aurais pas dû essayer de discuter là-dessus, c'est complètement idiot.

Evidemment il venait de mentir. Il avait besoin d’être rassuré chaque fois qu’il était question de près ou de loin de mettre des gens dans de l’eau. Dès qu’il était question d’eau d’une manière plus général. Ce qui expliquait sans doute par exemple pourquoi cette fois ils s’étaient installés si loin de la fontaine qui occupait le mur du fond.

- Je dirais pas que c’est idiot… essaya-t-elle de le rassurer.

Mais elle ne savait pas vraiment comment terminer cette phrase après tout. Ce n’était pas idiot certes mais c’était au moins un peu fou, hors de la réalité. Elle préférait ne pas soulever ce débat là à nouveau. Elle aurait voulu qu’ils parlent juste de choses légères, autrement dit… qu’ils changent de sujet…  Mais c’était sans compter Ridley et son flair d’espion.

- J'ai plutôt l'impression que c'est relié à des mauvais souvenirs si vous deviez vous sauver tout au fond d'un grand terrain et traverser des ronces pour arriver à ce ruisseau, mais j'ai pas à juger de ce que l'eau a bien pu faire pour aider dans ces cas-là, c'est subjectif.

Miranda avait avalé douloureusement une autre gorgée d’eau pendant qu’il parlait. De toute évidence, il était tout aussi fin observateur qu’elle même si d’une manière différente. Elle avait l’impression que justement, on lui avait versé un seau d’eau glacée sur la tête. Il avait raison sur toute la ligne. Elle avait trouvé le ruisseau par hasard un jour alors qu’elle voulait se faire du mal.

Nous étions en plein été, le soleil tapait fort. Elle avait été chargée par son père de tondre la pelouse.  Leur immense et gigantesque pelouse. Elle avait voulu attendre que la chaleur tombe un peu mais elle s’était pris une sacré brasse de la part de sa mère, lui rappelait qu’il fallait toujours écouter ce que son père disait, et s’exécuter sans délai, quoiqu’il demande. Elle lui avait rappelé que de toute façon il était bon qu’elle transpire un peu étant donné son surpoids. Il n’en avait pas fallut plus pour la faire pleurer. Il y avait de toute façon plusieurs jours qu’elle ne s’alimentait plus vraiment correctement. Le soleil aidant, au bout de quelques dizaines de minutes d’effort, elle s’était évanouie. Le SAMU avait été appelé par une voisine. Sa famille à elle, cachée dans la fraîcheur de la maison, n’avait rien vu. Sa mère avait feint l’inquiétude de la manière la plus crédible qui soit. Son père avait même ajouté « On lui avait dit de ne pas faire ça en pleine chaleur. » Elle ne savait pas pourquoi exactement elle avait menti aux secouristes quand ceux-ci avaient demandé si elle avait bien mangé au précédent repas.

Quand ils étaient partis, sa mère l’avait prise à part dans la cuisine. Elle lui avait redit qu’elle n’était pas sensée se priver de nourriture, qu’elle faisait cela uniquement pour faire son intéressante. Miranda avait écouté sans rien dire. Elle savait depuis longtemps que tout commentaire était vain. Sa mère avait ajouté qu’il restait une tâche à finir dans le jardin alors Miranda était sortie dehors. Elle ne se sentait pas de continuer elle était trop faible. Alors de rage, elle avait foncé droit sur la haie de ronce au fond de leur propriété. La douleur sur ses membres découverts l’avait calmée et elle avait l’impression de s’évader enfin de cet enfer. Son visage ainsi rayé de sang s’était reflété dans l’eau claire. Elle avait l’air d’une aventurière. L’eau était fraîche, elle s’y était plongée, toute habillée tellement elle mourrait de chaud.

- Vous avez raison… souffla-t-elle, mais je n’ai pas envie de vous raconter tout cela… Alors est-ce qu’on peut… parler d’autre chose ?

Elle espérait qu’il accepterait. Trop de souvenirs lui revenaient en mémoire. Et elle avait l’impression que si elle devait les raconter on ne la prendrait pas en pitié. Bien plutôt on trouverait ces histoires ridicules, comme de vulgaires enfantillages. A l’âge qu’elle avait, elle ne devait plus penser à tout cela. Un point c’était tout. Et à l’époque, elle aurait du s’alimenter correctement et se contenter de tondre cette maudite pelouse comme son père le lui demandait.

- Passer une soirée entre amis... ça n'est pas une chose facile pour nous n'est-ce pas?